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Princesse Mononoke

Humaniste, poétique, épique...

Dans un Japon féodal à l'ère Muromashi, Ashitaka, jeune prince d'une petite tribu séculaire est blessé par un monstre en essayant de protéger son village. La plaie qui résulte de cet affrontement ne cicatrise pas et commence à s'étaler sur sa peau, ce qui pousse le conseil des anciens à décider du départ du jeune garçon. Un long voyage commence alors pour Ashitaka, parsemé d'embûches et de rencontres improbables, à la recherche des origines du mal qui le ronge et d'un grand cerf susceptible de le guérir de sa malédiction.

 

Hayao Miyazaki signe avec "Princesse Mononoke" le film qui a popularisé le cinéma d'animation japonais dans le monde entier, et l'un de ses meilleurs films. Tout y est : des personnages forts, une intrigue riche en rebondissements, une animation fluide et un dessin impeccable. Des points positifs qui étaient déjà présents dans d'autres œuvres de japanimation antérieures, mais occultés par les préjugés de violence et de débilité que la presse (Télérama notamment) attribuait dans les années 90 à toute les productions venant du Pays du Soleil Levant. Certaines de ces oeuvres étaient d'ailleurs diffusées dans le pourtant très décrié Club Dorothée, comme par exemple : Le "Sherlock Holmes" de Miyazaki ou le "Roi Léo" de Tezuka qui furent allègrement plagiés par Disney, mais qui passaient relativement inaperçus derrière les têtes d'affiche de l'émission qu'étaient "Dragonball" et autre "Saint Seiya". N'oublions pas de citer également "Akira" qui fut le premier grand film à succès de la japanimation en France, mais dont le ton résolument adulte et la violence sèche mais non dénuée de sens, rebuta certains critiques pour qui l'animation était avant tout destinée à un jeune public. Comment expliquer alors la quasi-unanimité que "Princesse Mononoke" fit lors de sa sortie, que ce soit auprès du public comme de la presse? Comment expliquer que ce film, qui n'est pourtant pas destiné aux enfants ( "Chihiro" qui suivra le sera davantage) continue encore aujourd'hui d'être cité comme une référence immuable du savoir-faire des studio Ghibli et du cinéma d'animation dans son ensemble? Qu'est-ce qui, dans ce film, a pu marquer les esprits à ce point? C'est justement ce que nous allons essayer de voir.

 

Ce qui frappe en premier lieu, c'est l'intelligence du propos. Il est question de destruction de la nature provoquée par son exploitation à outrance par l'homme. En cause, une femme à poigne du nom de Dame Eboshi qui rase la forêt qui l'entoure pour alimenter ses forges, symbolisant par la même occasion la modernisation du Japon de cette époque qui développe et perfectionne alors les techniques de production de l'acier pour fabriquer des armes meurtrières. La course au progrès va ainsi de paire avec une recrudescence de la violence, visible tout au long du métrage à travers les explorations d'Ashitaka qui voit par exemple un village se faire attaquer par une armée de soldats affamés. La nature devient tout autant victime des travers des hommes que les populations elles-même en proie à des luttes de pouvoir et à des pillages.

 

 

Le film se double également d'une réflexion sur la disparition des grandes croyances animistes, qui se retrouvent misent à mal par la destruction des forêts. Les dieux animaux, qu'ils soient loups, sangliers ou cerfs y sont le dernier rempart à l'expansion humaine et deviennent ainsi des cibles toute désignées de la course à la modernité. Miyazaki nous montre ces créatures aussi bien dans leur majesté que dans leur bestialité la plus effrayante. Loin de les victimiser, il en fait de redoutables guerriers, prêt à tout pour défendre leur territoire sans occulter leur pouvoir de destruction décuplé lorsqu'ils sont corrompus par les boules d'acier des arquebuses utilisées contre eux.

Ashitaka, en étant la victime d'une de ces créatures devenue monstrueuse, cherche donc naturellement à réconcilier les hommes avec la nature et ne pas les opposer. Il cherchera même, et c'est là la grande qualité du film à sortir une jeune fille élevée par les loup de son désir de vengeance afin d'éviter l'escalade de la violence.

 

Le film fait passer plus qu'un message écologique, il délivre un message humaniste, porté par les valeurs d'altruisme, de courage et de persévérance qu'incarne à merveille ses personnages adolescents. Ashitaka, Comme dans beaucoup d'autres films des studio Ghibli, est un jeune garçon qui véhicule tous les espoirs, sorte de figure messianique, capable par son innocence et sa bienveillance, de véritable miracles. Son parcours nous est particulièrement émouvant du fait de sa souffrance et de son absence de haine envers les hommes qui lui ont indirectement infligé sa blessure. Sa relation avec San, la jeune Princesse élevée par les loups est touchante de par la complexité des sentiments qu'elle met en jeu. Elle est liée au vécu des protagonistes, à l'abandon de San dans sa plus tendre enfance, qui provoque en elle le dégoût de la civilisation et la fait se comporter comme un jeune animal farouche, hésitant à répondre favorablement à l'affection d'Ashitaka. "Princesse Mononoke" rappelle ainsi à bien des égards qu'il est difficile de réussir une belle histoire d'amitié, voir même d'amour qui échappe aux simplismes habituels.

 

Si la caractérisation des personnages se révèle très forte et très juste, jusque dans les seconds rôles : Il faut voir l’orgueil et la mégalomanie de Dame Eboshi, tempérée par sa générosité envers ses employés; soulignons également la qualité des dessins, réalisés de manière traditionnelle. La minutie des détails impressionne et se révèle époustouflante, notamment dans la représentation du domaine sacré du grand cerf, tant elle parvient à instaurer un univers crédible. Tour à tour, le trait sait se faire léger et sinueux pour reproduire la douceur juvénile d'Ashitaka et de la jeune San, mais il sait également se faire plus rude lorsqu'il s'agit de créer les textures rugueuses de la peau d'un dieu sanglier. L'animation, quant à elle, contribue au réalisme des scènes ainsi qu'à l'émotion; les mouvements restent fluides et parfaitement dosés en fonction des situations et des personnages, notamment, pour ce qui est des gestes affectueux entre adolescents, réalisés avec beaucoup de délicatesse. Il y a aussi de merveilleuses scènes de métamorphose (assez courantes dans le cinéma de Miyazaki), qui renforcent le caractère divin des créatures mythiques des forêts; des animaux qui se transforment en monstres recouverts d'un liquide gluant qui ondule et jaillit comme s'il était vivant, jusqu'au dieu-cerf, dont la mutation en géant translucide et scintillant, devient d'une poésie peu commune, au milieu d'une foule de lutins perchés sur les cimes d'une forêt agitée par le vent.

 

 

L'aventure est prenante, dépaysante, c'est tout un univers que l'on découvre et auquel on s'attache tout au long de ces deux heures quinze de film. Le rythme ne faiblit jamais, alternant entre séquences contemplatives et morceaux de bravoure. Le film démarre d'ailleurs assez rapidement par l'attaque du village, mettant directement le spectateur face à une situation surprenante et émotionnellement forte qui le fait immédiatement entrer en empathie avec les personnages. Ce mécanisme d'identification se complète d'une gestion adroite des rebondissements et d'une capacité à créer des situations désespérées, des obstacles apparemment insurmontables qui véhiculent une tension émotionnelle de tous les instants. En cela, le jeune public aura sans doute du mal à supporter certaines séquences assez dures. Malgré tout, l’œuvre séduit par ses audaces visuelles et par sa manière de ne pas ménager son public, véhiculant un souffle épique grâce aux décors grandioses et au dynamisme de sa mise en scène dans les séquences de poursuite et de bataille. Elle parvient aussi à instaurer de véritable moments de mélancolie et de tristesse, parcourue par la musique élégiaque et puissamment envoûtante du génial compositeur Joe Hisaishi, qui reste encore aujourd'hui l'une de ses plus grandes réussites.

 

En résumé, "Princesse Mononoke" est un Chef-d’œuvre humaniste, poétique et épique, sans doute l'une des plus belles œuvres de la fin des années 90, dont la richesse sur tout les plans permet de nombreux visionnages, ce qui explique sans doute qu'encore aujourd'hui, elle continue de fasciner. Personnellement, je la classe dans mon top 10 des meilleurs films de tous les temps.

 

 

Réalisateur : Hayao Miyazaki

Pays : Japon

Année : 1996

Durée : 2h15

Avertissement : moins de 10 ans

Distribution (voix japonaises) : Yôji Matsuda, Yuriko Ishida, Yuko Tanaka, Kaoru Kobayashi



21/08/2013
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