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Affreux, Sales et Méchants

La misère en mode burlesque.

 

 

Ah Rome!...Rome, ville éternelle, son patrimoine, son romantisme, sa douceur de vivre, tous ces attraits auxquels la plupart des personnes pensent à la seule évocation de son nom. Sauf que  le réalisateur Ettore Scola la connaît bien et entends nous montrer un autre visage de la capitale italienne, loin de ses traditionnels monuments et de ses boutiques pour touristes. Il nous emmène dans un bidonville à la découverte d’une famille nombreuse. A sa tête, Giacinto, père irascible ayant perdu un œil suite à un accident. Son unique but est de préserver son million de lires d'indemnité face à la convoitise de sa femme, de ses enfants et de toutes les autres personnes qui vivent sous son toit.

 

Tout d'abord, on ne peut qu'être surpris par le traitement réaliste qu'Ettore Scola adopte pour dépeindre les conditions de vie dans le bidonville. Les maisons sont de pauvres mansardes faites de planches de bois vermoulues et de taules récupérées dans lesquelles les habitants vivent dans la promiscuité la plus complète, faisant la cuisine, dormant et se lavant dans une pièce unique. A l’extérieur, leurs occupations nous sont dépeintes de manière précise grâce une caméra dont les mouvements nous permettent de survoler les lieux et d’accompagner chaque personnage dans ses activités. Pendant que les femmes lavent leur linge ou vont s’approvisionner en nourriture et que les hommes partent au travail, le film s’attarde sur certaines situations que l’on pourrait juger, avec le recul, immorales voir délictueuses. Celle d’une femme qui exhibe fièrement la photo de sa fille nue à de jeunes motards comme preuve de réussite sociale ou encore celle d’une adolescente enfermant des enfants dans une cage aménagée en parc de jeux.

 

Face à cette misère sociale, Scola ne nous permet jamais vraiment de prendre de la distance. Nous ne sortons que rarement du bidonville et aucun personnage ou situation n’est là pour condamner cet état de fait. Même lorsque Giacinto doit se justifier de violences conjugales auprès d’un inspecteur de police, ce n’est que pour recevoir un léger blâme. D’où la polémique compréhensible qu’a pu soulever le film à sa sortie et la gêne que l’on peut encore éprouver aujourd'hui devant ces scènes.

 

 

Il faut dire que le cinéaste italien ne prend aucune pincette quant à la caractérisation de ses personnages. Tous sont porteurs des pires vices; en particulier Giacinto qui défend son pactole le fusil à la main et le change constamment de place de peur de se le faire voler. A l'image de ses gesticulations, la plupart des situations relèvent d'un comique burlesque qui donne à l’ensemble une dimension anti-dramatique proche de la Comedia dell'Arte avec son lot d'amourettes, de tromperies et de vengeance.  Ainsi, l'une des scènes les plus drôles du film montre la rencontre entre Giacinto et une grosse prostituée, près d'un panneau publicitaire en ruine. La mise en scène s'y fait virtuose pour mettre en valeur la gaucherie de leurs gestes, leurs petits sourires en coin et leur clins d’œil complices, tout en tirant le meilleur parti du décor, à la fois obstacle, cadre et théâtre de leur coup de foudre.

 

Pour appuyer cette loufoquerie, c'est l'image, elle-même, qui se pare de petites touches colorée. Les multiples récipients en plastique, les vêtements extravagants des prostituées et les pages de bande dessinée qui traînent sur les tables renforcent l'aspect déjanté du film. On se surprend d'ailleurs à y voir une forme de poésie du bricolage et de la débrouille. Ce qui n'empêche pas le rire d'atteindre ses limites dans de brusques ruptures de ton dont Scola a le secret; en s'attardant, par exemple, sur une adolescente habillée de son petit tablier et de ses bottes jaunes, qui va chercher de l'eau, pensive mais dévouée à sa tâche. Là le film se fait plus mélancolique, plus sérieux, en accordant une dimension grave, presque tragique à un personnage secondaire.

 

Le regard que Scola porte sur cette réalité sociale n'est jamais bienveillant. Il ne cherche pas à donner du bidonville et de la famille de Giacinto une image idéalisée ou au contraire misérabiliste pour mettre à l’aise ou apitoyer le spectateur, il choisi clairement la farce grinçante. Ainsi, on ne rit pas tant de la pauvreté des personnages que de leurs comportements totalement farfelus et de leurs relations conflictuelles permanentes. La cellule familiale, si exploitée et critiquée par le cinéma italien est ici dynamitée, retournée dans tous les sens, malmenée comme jamais jusqu'à faire prendre au conflit entre, le père Giacinto et les autres membres de sa famille, des proportions gigantesques.

 

Au final, à travers ce constat, c'est la société italienne toute entière qui est visée, montrant sans filtre toute la cruauté et la bassesse qu'elle peut renfermer dans ses rapports humains, mettant au pilori la pingrerie, la jalousie et la mauvaise foi de son personnage principal Giacinto dont la profonde absence de scrupules et de complexes transparaît dans la laideur de son visage défiguré par la chaux. C'est vraiment le personnage typique de anti-héros que l'on aime détester, mais auquel on finit tout de même par s'attacher car il est tellement bourré de défauts qu'il en devient délicieusement ridicule. A ce titre, il faut saluer la performance de Nino Manfredi qui joue avec délectation ce salaud intégral, alors même que deux ans auparavant, il nous émouvait dans son rôle d'infirmier romantique dans "Nous nous sommes tant aimés" du même réalisateur.

 

Réalisateur : Ettore Scola

Pays : Italie

Année : 1976

Durée : 1h51

Avertissement : moins de 10 ans

Distribution : Nino Manfredi, Francesco Anniballi, Maria Bosco, Giselda Castrini



25/10/2013
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