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Dark City

Occulté par Matrix

Dans une ville gigantesque plongée dans l'obscurité, les habitants sombrent dans un sommeil profond chaque fois que sonne minuit. C'est pourtant à ce moment là que John Murdoch se réveille dans la baignoire d'une chambre d’hôtel. Il n'a aucun souvenir, ne connaît pas son identité et découvre avec effroi le corps mutilé d'une femme étendue près de son lit.

 

Les histoires d'amnésiques ont souvent nourrit les cinéastes en manque d'inspiration. Il n'y a rien de mieux en effet que de faire découvrir à un personnage sa propre identité en même temps que le spectateur pour créer une identification plus forte. Les questions soulevées par l'intrigue se doivent donc d'être nombreuses pour maintenir en haleine jusqu'au bout, quitte à sacrifier toute vraisemblance et à multiplier les incohérences de scénario. Heureusement, "Dark City" garde une certaine logique de ce point de vue, tout en répondant parfaitement au cahier des charges avec ses nombreuses interrogations à la clé. Notre héros est-il vraiment le meurtrier? Pourquoi est-il amnésique? Et quels sont ces personnages étranges au crâne chauve qui semblent le poursuivre? Cette mise en place suscite immanquablement l'attente et participe d'un dispositif rôdé dont l'efficacité n'est plus à démontrer.

 

"Dark City" se distingue cependant du tout venant par ses parti-pris esthétiques tranchés et percutants. Le film s'ouvre sur un long travelling qui nous fait plonger dans les bas-fonds lugubres d'une cité écrasante par sa taille et son obscurité. Les phares d'une file ininterrompue de voitures parcourent ses artères labyrinthiques sur plusieurs niveaux, les sifflets des tramways résonnent dans la nuit, masquant à peine le vacarme des habitants en pleine activité. Puis... soudain,... tout s'arrête net. La musique tonitruante du début laisse la place à d'angoissants chœurs masculins... avant de réapparaitre lorsque la caméra nous fait pénétrer à travers le hublot d'un bâtiment sinistre.

 

Premier constat : le film dégage une atmosphère extrêmement prenante, presque à la limite de la surenchère visuelle et auditive. Les premières scènes sont très découpées, mais toujours lisibles. L'image est léchée et parfaitement bien composée, accompagnée d'une bande sonore, omniprésente, mais jamais envahissante, en symbiose avec une mise en scène superbe. Il faut dire qu'Alex Proyas n'en est pas à son coup d'essai. Son curriculum vitae compte un nombre important de pubs pour des marques célèbres et de clips pour "Yes" ou encore "Mike Oldfield", rien que ça. "The Crow", son film précédent lui a d'ailleurs permit d'acquérir une certaine notoriété auprès du grand public.

 

 

Il y a dans "The Crow" et "Dark City", la même ambiance désespérée, le même imaginaire sombre et gothique, mais avec un degré de maturité nettement plus important dans le deuxième film. Son ambiance peaufinée, se double d'une parfaite maîtrise des moyens techniques. Les effets spéciaux utilisés pour matérialiser les transformations de la ville sont tout simplement bluffants. Ils combinent à merveille des maquettes et des décors réels à un travail de création numérique minutieux. La ville apparaît donc comme un personnage à part entière. Elle se mue régulièrement comme un être vivant pour emprisonner encore et toujours ses habitants dans une existence sans perspective et sans avenir.

 

Les repères temporels comme les repères spatiaux sont aussi régulièrement bouleversés, à l'image de suspensions récurrentes du temps. Seul des aliens camouflés en humains veillent en permanence à dissimuler la vérité sur ce monde aux limites incertaines, construit à partir de souvenirs mélangés, triturés, manipulés entre eux pour être le terreaux d'existences artificielles. Au fond, La mémoire est le cœur du problème. Associée d'ordinaire à la préservation des images de la vie personnelle ou commune, elle est ici un outil d'étude et d'asservissement pour des extra-terrestres incapables d'individualisme et de libre arbitre.

 

Leur rôle rejoint d'une certaine manière celui des cinéastes : mettant en scène différents scénarii à l'aide de souvenirs, contrôlant les lieux et les personnalités, comme un réalisateur dirigerait ses acteurs et tournerait ses scènes. Alex Proyas n'hésite d'ailleurs pas à pousser la logique assez loin dans la constitution de ce qui s'avère être un véritable méta-film. Chacun de ses personnages est un stéréotype purement cinématographique, une résurgence du passé : La femme fatale, le savant fou ou encore le flic téméraire. Ce propos est d'ailleurs renforcé par l'aspect visuel du film, nourri des représentations de tout un pan de la mémoire du septième art. Que ce soit les extra-terrestres dont le crâne blanc et chauve rappelle le "Nosferatu" de Murnau ou bien encore la ville elle-même, constituée d'un ensemble de bâtiments aux styles hétéroclites rappelant la démesure du "Métropolis" de Fritz Lang.

 

 

"Dark City" n'est donc pas un film anodin, loin de là. Sa richesse tant sur le fond que sur la forme en fait une référence incontournable du domaine du fantastique. Et pas uniquement... Puisque le film reste aussi très imprégné d'une ambiance de film noir et qu'il vire aussi du côté de la science fiction dans sa dernière partie. Roger Ebert, grand critique de cinéma américain, réputé pour son intransigeance, le considère comme l'égal de "Blade Runner" de Ridley Scott ou du "Metropolis" de Fritz Lang. Certaines de ses interview sont d'ailleurs contenues dans le Blu- Ray avec celles de Proyas, ainsi qu'une version Director's Cut du film pour le plus grand bonheur des fans. Je ne m'étendrai cependant pas sur celle-ci, ne l'ayant vu qu'une fois, mais je dirai simplement qu'elle contient quelques apports intéressants; notamment un remontage de quelques scènes, la suppression de la voix off du début et des personnages supplémentaires.

 

Malheureusement, la sortie de "Dark City" en mai 1998 n'eut pas le même retentissement que l'arrivée dans les salles de "Matrix" un an plus tard. La comparaison est intéressante puisque les deux films ont une trame narrative assez similaire ainsi que quelques thématiques en commun. Certains fans de l’œuvre de Proyas se sont même essayé à une comparaison plan par plan, révélant de troublantes ressemblances qui peuvent laisser supposer un plagiat des frères Wachowski sur le film d'Alex Proyas. Reste qu'en dépit de cette polémique et de sa faible notoriété, "Dark City" demeure un film d'une beauté et d'une richesse rare, une œuvre théorique fascinante perdue dans un océan d'indifférence ("Le Guide des Films" de Jean Tulard n'en fait même pas mention... pffff!). A redécouvrir d'urgence!

 

 

Réalisateur : Alex Proyas

Pays : USA, Australie

Année : 1998

Durée : 1h35

Avertissement : Tous Publics

Distribution : Rufus Sewell, Kiefer Sutherland, Jennifer Connelly, William Hurt



02/01/2014
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